29/03/2024

Lettre de l’association Vivre au président de la République

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                                                                                            Monsieur le Président de la République,

                                                                                                 Palais de lÉlysée 55 Rue du Faubourg SaintHonoré,                                                                                                   75008 Paris France

                                                                                                 Lamentin, le 14 mai 2019

 

Objet : Votre courrier en date du 9 mai 2019 à la Coordination des Associations dOutre-mer

Monsieur le Président de la République,

Nous avons été informés de lexistence dun courrier destiné aux associations doutremer, mais nen avons pas été destinataires directement.

Notre association, dénommée VIVRE, a pour objet de fédérer ses membres sur la problématique des conséquences du CHLORDECONE (et des autres polluants) et des solutions à mettre en oeuvre.

Afin que vous puissiez connaitre le ressenti de nos adhérents, nous avons pris linitiative de vous alerter sur les points suivants qui nous semblent importants et pour lesquels votre véritable implication peut être décisive.

I SUR LE PRINCIPE CONSTITUTIONNEL DE LÉGALITÉ ENTRE TERRITOIRES FRANCAIS PREVU NOTAMMENT PAR LES ARTICLES 1ER ET 73 DE LA CONSTITUTION

Les Guadeloupéens et les Martiniquais sont victimes dun empoisonnement latent par le chloredecone depuis plus dune trentaine dannées et tous les gouvernements successifs nont jusqualors pas instauré un véritable PLAN CHLORDÉCONE SOINS DÉCONTAMINATIONS RÉPARATIONS INDEMNISATIONS visant prioritairement à protéger leur santé et à leur garantir la qualité de vie à laquelle ils pourraient prétendre sans cette inacceptable contamination qui les frappe.

En auraitil été ainsi si une contamination de la sorte avait eu lieu sur un territoire de la France hexagonale ? La lenteur des processus de décisions pourtant attendues dans le cadre des politiques de Santé Publique, alors quil y a urgence, peut laisser penser à une indifférence à légard des territoires doutremer.1

Force est de constater quen 2019, il ne sagit plus de lenteur caractérisée mais presque dune situation singulière de non assistance à personne en danger en Guadeloupe et en Martinique. En effet, certaines associations (locales, concernant le chlordécone, ou de la France hexagonale à propos dautres biocides), rappellent que la qualification dempoisonnement peut être retenue lorsque des autorisations puis des dérogations ont été délivrées, en dépit de tout bon sens, pour ces produits qui ont eu les effets que lon déplore aujourdhui et depuis de nombreuses années. La question de la responsabilité de lÉtat est donc au centre du débat.

1 NICOLINO, F. et VEILLERETTE F., Pesticides Révélations sur un scandale français, Fayard, 2007, ISBN 9782213629346, 384 pp.

II SUR LA RESPONSABILITE RECONNUE DE LÉTAT DANS CETTE CONTAMINATION GÉNÉRALISÉE DES PERSONNES, DES BIENS ENVIRONNEMENTAUX COMMUNS ET DES RÉPARATIONS AFFÉRENTES

La situation que nous connaissons aux Antilles en matière de contamination généralisée par les biocides est une violation patente des textes juridiques et réglementaires les plus importants pour organiser notre vivre ensemble. Il sagit en effet, et la liste est non limitative, du préambule, des articles 3 et 4 du Traité de Fonctionnement de lUnion Européenne, des articles 1 et 34 de la Constitution française, des articles 2 à 5 de la Charte de lEnvironnement adossée à celleci, ainsi que des lois Santé et Biodiversité de janvier et août 2016.

Monsieur le Président de la République, vous reconnaissez la responsabilité de lÉtat dans cet inacceptable scandale environnemental, il reste maintenant à aller au bout de cette démarche. Il ne pourrait être envisagé que la reconnaissance dune responsabilité éludée par lÉtat depuis des années, soit neutralisée par le fait de ne pas en tirer les conséquences. Il est question, ici, des préjudices liés à la contamination par des biocides dont le chlordécone, et que la loi dite « biodiversité >> précédemment mentionnée, longuement attendue et saluée par la doctrines et le grand public, quoique perfectible, a enfin reconnus.

Bien que vous affirmez dans votre lettre quil « ne [vous) appartient pas de prendre part au débat scientifique sur les effets de ce pesticide sur la santé », il est de notre devoir de rappeler que de nombreux travaux de recherches établissent le lien de causalité entre les contaminations en cause et les effets sur la santé du vivant(animal y compris humain, végétal) et sur l’environnement plus large.

En effet, si la reconnaissance de la contamination au chlordécone au titre de maladie professionnelle est une avancée, le corpus des réparations à venir ne saurait se limiter à cette reconnaissance pour les victimes que sont nos concitoyens ouvriers agricoles. Elle doit être étendue à lensemble des victimes que sont les Guadeloupéens, les Martiniquais, et plus généralement lensemble des personnes présentes sur ces territoires et qui ont été aussi contaminées.

2 Reconnaissance qui est cohérente à la fois avec le principe de la réparation de lentier dommage par celui ou ceux qui lont causé (articles 1240 et suivants du code civil remplaçant désormais les articles 1382 et suivants du même code, et avec le principe pollueurpayeur (ou de réparation). Ledit principe qui a été repris par exemple dans la loi par la loi 20161087, du 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite loi « biodiversité », en particulier en son art. 4 Ter. Ce texte prévoit linsertion « du préjudice écologique » (sic) aux articles 138619 anc. et s. du code civil (art. 1246 et s. nouv.). 3 Cette consécration a été impulsée dès la jurisprudence dite « Érika » (Cass. crim. 25 sept. 2012), a été saluée lors de ses différentes étapes par la doctrine par la doctrine (M. BOUTONNET, « Une reconnaissance du préjudice environnemental pour une réparation symbolique... », Environnement et Développement Durable, LexisNexis, J.C., no 7, juill. 2009, comm. 90, 10 pp., spec. pp. 910. 4 Ainsi que démontré dans des cents travaux de thèse, F. JEANFRANÇOIS, « Responsabilité civile et dommage à lenvironnement », Université des Antilles, 2018,592 pp. 5 L. Brureau, C. Helissey, JP. Thome, L. Multigner, P. Blanchet, Endocrine disruptingchemicals and biochemical recurrence of prostate cancer after prostatectomy: A cohort study in Guadeloupe (French West Indies), 20 March 2019, https://doi.org/10.1002/ijc.32287 6 V.notamm. D. LEVESQUE, « Effectiveness of Pesticide Safety Training and knowledge About Pesticide ExposureAmongHispanicFarmworkers >>, Journal of Occupational and Environmental Medicine: Dec. 2012Vol. 54 Issue 12 p 15501556, DOI: 10.1097/JOM.Ob013e3182677d96; L. MULTIGNER, J. R. NDONG, A. GIUSTI, M. ROMANA, H. DELACROIXMAILLARD, S. CORDIER, B. JEQOU, J.P. THOME J.P., and P. BLANCHET, « ChlordeconeExposure and Risk of Prostate Cancer >>, Journal of ClinicalOncology, 2010 21, pp. 34573462; L. MULTIGNER, « Chlordécone et cancers aux Antilles », RESP 56, 2008, pp. 233 234 ; SB CANNON, J. M. VEAZEY Jr, R. S. JACKSON, V. W. BURSE, C. HAYES, W. E. STRAUB et al., « Epidemickeponepoisoning in chemicalworkers », Am J Epidemiol, 1978, 107,529537, in L. MULTIGNERPréc.; W. J. COHN, J. J. BOYLAN, R.V BLANKE, M. W. FARISS, J. R. HOWELL, P.S. GUZELIAN, « Treatment of chlordecone (kepone) toxicitywithcholestyramine : results of a controlled trial», N. Engl.J. Med., 1978, 298, pp. 243248, in L. MULTIGNERPréc.; M. FINTZ, « Lautorisation du chlordécone en France 19681981. Contribution à laction 39 du Plan Chlordécone, MaisonsAlfort »: Afsset, 2009,

De même, la réparation dans son expression juridique doit sentendre de lensemble des préjudices subis, quils touchent les personnes physiques ou morales, les biens environnementaux communs (sol, eau, air, atmosphère, océans, biodiversité, le vivant...). En somme, nous parlons de la réparation de tous les dommages réparables et autres préjudices corporels, moraux, matériels, voire de ceux liés à lanxiété due à cette incessante situation de pollutions plurielles qui affectent la qualité de vie quotidienne aux Antilles?.

Ainsi, vous comprenez que nous restons particulièrement sceptiques quand vous énoncez que « les victimes de la chlordécone soient intégrées dans toutes les démarches ouvertes au bénéfice des victimes des produits phytopharmaceutiques », alors que si lon part du postulat quen moyenne 95 % des Guadeloupéens et des Martiniquais seraient contaminées (soit environ 770 000 personnes), cest un véritable plan dindemnisation dédié spécifiquement aux victimes du chlordécone et autres molécules biocides (tels que le Glyphosate, le DDT pour ne citer que ceuxci), quil conviendrait précisément de mettre en oeuvre.

III SUR LE DÉNI DE MOCRATIE PARTICIPATIVE ET LES CISIONS DISCRIMINATOIRES À LENCONTRE DE LA SOCIÉCIVILE GUADELOUPÉENNE ET DE SES REPRÉSENTANTS ASSOCIATIFS (principe de démocratie participative, consécutif à la révision constitutionnelle de 2003, et aux lois de 2003 et 2004)

Monsieur le Président, vous avez, sur ce point, envoyé un message fort en indiquant que « les associations seront associées aux réflexions sur lintérêt des pistages individuels, ponctuels ou systématiques dont les résultats seront pris en compte dans le Plan Chlordécone IV».

Localement, lARS GUADELOUPE a décidé de ne pas convier les associations militantes comme la nôtre, ce qui semble en totale contradiction avec votre souhait. Il est particulièrement curieux quelles aient dabord été invitées avec transmission des documents de synthèse pour singulièrement sentendre ensuite dire trois heures plus tard quelles ne le seraient plus sous des motifs incompréhensibles.

Dautre part, les travaux de groupe en cours sont annoncés comme exclusivement réservés à des scientifiques experts/chercheurs alors même que certains de ceux/celles qui y participent ne répondent pas à lexigence de ladite compétence. Ces pratiques discriminatoires ont pour conséquence damplifier la méfiance, la suspicion, voire la colère des associations dont les adhérents cumulent les qualités de patients, usagers, administrés, contribuables et malheureusement de victimes contaminées...

Enfin, nous souhaitons vous alerter quant à la multiplication de témoignages provenant de divers professionnels de santé et de secteurs connexes du secteur public ou privé (médecins, doctorants, docteurs, biologistes, techniciens de laboratoires, chargés de mission, agents de prélèvement, administratifs, etc.) qui préfèrent renoncer à participer à des réunions publiques dinformation sur les pollutions et contaminations plurielles, ou encore sur le scandale de linsalubrité de leau, pour éviter des représailles de leurs hiérarchies.

7 Juridiquement cette énumération large mais néanmoins pertinente et justifiée correspond bien à la réparation de lentier dommage comme prévu aux articles 1240 et suivants du code civil, qui remplacent désormais les articles 1382 et suivants du même code. 8 Qui a acquis sa pleine valeur constitutionnelle grâce notamment à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel, v. notamm. Cons. const., c. no 2008564 DC du 19 juin 2008, Loi sur les OGM, Rec. p. 313 ; CE, A. 3 oct. 2008, Cne dAnnecy, Rec. p. 322, GAJA.

Quelles sont les véritables raisons dun climat aussi anxiogène ?

Espérant pouvoir compter sur votre implication, nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en lexpression de nos salutations distinguées.

Le Conseil dAdministration de lAssociation VIVRE, ses Adhérents et ses Partenaires

Schadensers

Patricia CHATENAYRIVAUDAY, Présidente

JeanMarie FLOWER, VicePrésident

JeanJacob BICEP, Trésorier

Laure TARER, Secrétaire

Liste non exhaustive des destinataires

PEUPLES de GUADELOUPE et de MARTINIQUE,

Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé,

Monsieur le Ministre de lAgriculture,

Monsieur le Ministre de la Transition écologique et Solidaire

Madame la Ministre des Outremer,

Madame la Secrétaire dEtat des Affaires Européennes

Monsieur le Défenseur des Droits

Monsieur le Préfet de la Guadeloupe

Mesdames et Messieurs les Députés de la Guadeloupe

Madame et Messieurs les Sénateurs de la Guadeloupe

Monsieur le Président du Conseil Régional, Madame la Présidente du Conseil Départemental,

Madame et Messieurs les Présidents des EPCI,

Monsieur le Président de lAssociation des Maires,

Madame la Directrice Générale de lARS,

Monsieur le Directeur de la DÉAL,

Monsieur le Directeur de la DAAF,

Messieurs les Présidents des Chambres Consulaires,

Madame la Présidente de lOffice de lEau,

Madame la Présidente du Comité de lEau et de la Biodiversité,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Ordres et/ou Organisations des Professionnels de Santé,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Organisations Syndicales de Salariés,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Organisations Patronales,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations de Défense des Usagers de lEau,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations de Défense des Droits des Personnes en

situation de Handicap,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations Écologistes et de Protection de

lEnvironnement,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations Culturelles, Sportives, de Protection et d‘Insertion Sociales, Mesdames et Messieurs les Représentants de la Coordination des Associations dOutremer,

Toute autre personne physique et/ou morale se sentant concernée, en Guadeloupe, en Martinique,

en Europe et ailleurs

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