28/03/2024

Nécessité d’une évolution statutaire de la Guadeloupe vers un régime d’Autonomie

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Monsieur le Président de la République,

Vous revenez d’un « Grand Débat National » au cours duquel la voix de l’Outre – Mer, noyée dans votre tour de France continentale, n’aura servi principalement qu’à exprimer les préoccupations de quelques élus antillais sur la cantine de l’école, le clocher du village ou la route du quartier.

Mises à part de sérieuses questions sur le chlordecone et les sargasses qui visiblement agaçaient une élue de l’Océan indien donnant plutôt l’air de savourer le plaisir d’être assise à vos côtés, l’on ne peut pas dire qu’il se soit dégagé de cet échange une vision d’ensemble de la politique que vous entendez conduire dans l’Outre – Mer, si ce n’est qu’il aura été mis l’accent « sur le droit à la différenciation » repris dans votre conférence de presse du jeudi 25 avril 2019.

Bien que l’énoncé de ce droit recouvre un concept encore flou et qu’il n’ait pas entraîné pour l’instant le moindre débat public à l’échelle guadeloupéenne, le Comité d’Initiative Pour un Projet Politique Alternatif (CIPPA), parti créé le 29 novembre 2009 que je dirige et dont le siège social est situé à Gourbeyre en Guadeloupe en a pris acte parce qu’il est sous-jacent de l’action qu’il mène au sein de la population guadeloupéenne qui lui témoigne progressivement son adhésion à l’occasion de scrutins régionaux et de fréquents rassemblements.

Il est vrai qu’une fois la parole libérée depuis le fameux Arrêt de la Cour de Sûreté de l’Etat du 1er mars 1968 ayant prononcé l’acquittement de dix huit patriotes guadeloupéens – auxquels il convient de rendre hommage – accusés d’atteinte à l’intégrité du territoire pour avoir défendu des thèses autonomistes voire nationalistes, – le CIPPA, avec le sentiment de faire œuvre de démocratie ne redoute pas de militer ouvertement pour l’Autonomie de la Guadeloupe dans le cadre de l’article 74 de la Constitution française.

Ce faisant, notre mouvement s’inspire non seulement de l’appel à l’émancipation des peuples colonisés lancé à Brazzaville le 30 janvier 1944 par le Général de Gaulle mais aussi de la célèbre réplique faite par Georges Clémenceau le 30 juillet 1885 à Jules Ferry qui avait osé du haut de la tribune de la Chambre des Députés défendre la prédominance des races supérieures de l’Occident Européen sur les races inférieures des colonies.

Mais loin des rancunes engendrées par des comportements d’un autre âge, le CIPPA n’aura retenu de l’Histoire que le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

La prise en mains des affaires guadeloupéennes par des guadeloupéens libres suppose un renversement des structures coloniales qui font de la Guadeloupe en ce début du 21ème siècle un territoire assisté n’étant en fait qu’une terre d’exportation soumise à toutes les importations d’où qu’elles viennent et incapable de maîtriser des choix innovants en matière de développement économique.

En dépit d’un indéniable succès dans le domaine social la départementalisation n’a pas permis l’avènement d’un modèle économique propre à éradiquer l’état de dépendance ; bien au contraire elle n’aura au fil des ans rendu la Guadeloupe que plus dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement. Le chômage augmente et le malaise est grand notamment au niveau d’une  jeunesse en manque de perspectives.

Or, la Guadeloupe possède d’énormes atouts grâce à la fertilité de ses sols quand ils ne sont pas contaminés par le chlordecone autorisé par l’Etat français, au potentiel de la mer, aux énergies renouvelables ainsi qu’au  dynamisme de sa population.

Une nouvelle politique économique doit être fondée pour une meilleure gestion du quotidien à tous les niveaux non sur des transferts publics ou sur l’attente de fonds Européens dont – il faut le souligner – le département-région de la Guadeloupe est un contributeur net, mais sur les ressources du pays aujourd’hui en berne mais appelées à prospérer sous l’effet de la mise en place de nouvelles impulsions économiques.

L’analyse du contexte de la mondialisation libérale montre que le principe du libre échange aggravé par la détermination et la puissance du lobby de l’importation constitue un sérieux obstacle structurel en défaveur d’une activité de production évincée de son propre marché local par des produits concurrents obtenus ailleurs à meilleur coût comme l’igname de Costa Rica, le vivaneau du Venezuela, les citrons du Pérou, les crabes de Madagascar, les ouassous du Vietnam etc… etc…

La pensée dominante qui prétend que le libre échange est source de progrès pour les pays en voie de développement est formellement mise à mal par le déclin de la banane guadeloupéenne frappée par l’organisation ultra libérale du commerce mondial depuis les accords initiés par le GATT en avril 1993, amplifiés par le tarif douanier unique du 1er janvier 2006 de l’UNION Européenne. La situation du sucre est appelée à connaître le même sort fatidique suite à la fin des quotas sucriers décidée au 1er octobre 2017.

Autant dire que la chute de ces deux cultures d’exportation – sans compter le melon – aggravera le déficit de la balance commerciale de la Guadeloupe dont le taux de couverture des importations par les exportations (6%) se rapproche dangereusement du (0%).

Pour créer les conditions objectives permettant la mise en place d’un marché intérieur agrémenté de la préférence guadeloupéenne, il faut inverser graduellement, production par production, service par service, les mécanismes – dont le libre échange –  ayant conduit depuis un demi- siècle à la destruction de l’appareil productif, donc à l’augmentation exponentielle du chômage pendant que de gros importateurs continuent de s’enrichir.

Il ne s’agit pas de basculer dans un protectionnisme généralisé dont on connaît les effets pervers mais d’octroyer à certaines productions précises la protection dont elles auraient besoin et de faire accepter par la population les surcoûts engendrés par la création d’activités d’emplois.

Une telle protection confiée à l’intervention publique s’effectuerait au moyen d’une part de droits de douane fixés à partir d’un tarif guadeloupéen se substituant à celui de Bruxelles aussi bien dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, d’autre part de taxes spécifiques sur des importations spécifiques afin de compenser le handicap en termes de coûts de production.

Le marché intérieur reposerait sur quatre éléments :

1°) la fixation annuelle des prix par un Pouvoir exécutif  guadeloupéen.

2°) la mise en place d’un système d’échange   s’appuyant sur un dispositif de protection aux          frontières par l’application de prélèvements variables perçus lors des importations.

3°) la création d’un fonds agricole alimenté par ces          prélèvements à charge de répartir les compléments de recette aux agriculteurs victimes de la concurrence extérieure et des calamités naturelles

4°) le soutien du marché intérieur par l’obligation faite aux collectivités locales (cantines, hôpitaux et autres) de s’approvisionner auprès des producteurs guadeloupéens.

le tout soutenu par un statut fiscal particulier au moment où la loi du 02 juillet 2004 vient de changer la nature de l’octroi de mer désormais placé sous le contrôle du représentant de l’Etat, lequel octroi de mer au demeurant est menacé pour l’avenir car toujours jugé illégal par la Cour de Justice des Communautés Européennes à l’égard du territoire  douanier de l’Europe en fonction de l’article 299 du Traité d’Amsterdam..

Pour sa part, le CIPPA, soutient qu’en tout état de cause il conviendra de réviser la formule actuelle de l’octroi de mer, pour lui préférer une taxe dont la triple fonction visera à remplir le rôle d’instrument  d’autonomie des collectivités territoriales,  de moteur financier et de moteur économique.

Substituer des relations horizontales entre les secteurs d’activités de la Guadeloupe aux relations verticales entre celle-ci et la France de manière à ce que l’argent transféré dans d’autres pays par l’exportation puisse dorénavant être maintenu en Guadeloupe dans le but de créer de la richesse et de l’emploi, tel est l’axe central de la nouvelle politique économique que préconise le CIPPA, sous l’observation que les mécanismes utilisés pour la préférence guadeloupéenne en faveur de l’agriculture seraient les mêmes en faveur d’une politique industrielle dont le développement incomberait aux entreprises locales et aux entreprises étrangères obligées de s’installer sur place pour être concurrentielles et avoir accès au marché.

Il est indéniable que le statut actuel de département et de région européenne dévolu à la Guadeloupe s’oppose à de telles transformations, seules susceptibles de promouvoir et de protéger une activité productrice et de faire reculer le chômage.

A l’inverse le statut de Pays et Territoires d’Outre Mer (PTOM) qui peut servir de base de discussion le permet, sous  le couvert d’un régime d’Autonomie aux compétences négociées.

Par conséquent le CIPPA se prononce pour un statut de PTOM comme partie non intégrante de l’Union Européenne mais y associée avec un régime différent de celui des Régions Ultra Périphérique (RUP) tenues quant à elles d’appliquer l’ensemble du droit communautaire.

Car, outre qu’il autorise la transformation de produits semi finis acquis auprès des pays à bas salaire avant exportation éventuelle vers l’Union Européenne, le statut de PTOM favorise la conquête du marché intérieur dans la mesure où il tolère la perception de droits et taxes sur les importations de toutes provenances y compris de l’Union Européenne avec pour but de favoriser le développement industriel et d’alimenter leur budget , les PTOM disposant d’un libre accès au marché européen sans être tenu par la réciprocité  comme c’est le cas des DOM.

Les règles d’origine sont beaucoup plus souples pour les PTOM que pour les DOM car ils peuvent exporter vers la l’Union Européenne des matières premières originaires des pays ACP partiellement transformées, en exemption de droits à l’importation.

On voit donc tout l’intérêt de cette procédure pour la création d’industries nouvelles sur le sol guadeloupéen au moment où l’on parle de l’ouverture du port en eau profonde de Jarry qui pourrait devenir un port franc en vue de la réexportation des produits tiers une fois transformés.

Enfin, parce que contrairement aux DOM, les PTOM disposent d’une souveraineté sur leur Zone économique exclusive, le Pouvoir exécutif guadeloupéen, pour la grande satisfaction du monde de la pêche, mettrait tout en œuvre pour récupérer par la voie diplomatique l’importante zone de 90.000 km² dont la Guadeloupe est privée depuis que la France a unilatéralement bradé l’île d’Aves à 210 km des côtes de la Guadeloupe au profit du Venezuela.

Vous aurez bien compris Monsieur le Président, qu’en insistant sur la priorité à donner à l’esprit de production le CIPPA entend  dessiner un nouveau modèle où le guadeloupéen prendra sa part de liberté et de responsabilité sans pour autant tourner le dos ni à la France ni à l’Europe et encore moins à ses voisins de la Caraïbe.

Il ne fait pas de doute que le changement statutaire préconisé par le CIPPA va dans le sens de la volonté innovante qui anime aujourd’hui la majorité de la jeunesse guadeloupéenne, dût-elle y donner son avis avec l’ensemble de la population par le biais d’une consultation qui serait cette fois conduite dans la clarté, la loyauté et la transparence au contraire de celle de décembre 2003 marquée du sceau de l’illégalité pour avoir violé les dispositions de l’article 72-4 de la Constitution, le débat prévu au Parlement n’ayant eu lieu que le 7 novembre 2003, soit après la publication de l’ensemble des textes décidant et organisant ledit référendum dont la question passablement alambiquée allait de surcroît à l’encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (dec. n°2000-428 DC du 4 mai 2000).

Il y va de l’avenir d’un pays en appétit de construction soucieux de sauvegarder ses racines, son histoire et son patrimoine hors des fascismes d’extrême droite qui pointent à l’horizon et de favoriser son ouverture au monde avec des valeurs de respect, de dialogue, de travail et de paix.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.

 Pour le bureau Politique du CIPPA

Le Président du CIPPA

     Alain PLAISIR

 

 

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