18/04/2024

Adresse aux élus départementaux et régionaux à l’occasion du congrès du 15 mars 2013.

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Le CIPPA, n’ayant pas été convié cette fois-ci au congrès des élus, rend publique en prime son intervention.

Mesdames, messieurs les élus du Congrès,

Vous avez décidé d’instaurer le débat du Congrès sur le seul terrain institutionnel: droit commun, assemblée unique, collectivité unique. Cette posture vous permet en vous neutralisant de ne rien faire. Le congrès du 27 décembre 2012 en est la triste illustration. Vous ne posez jamais la réflexion sur l’angle économique. Comment pourriez-vous en effet expliquer à la population :

 – qu’il faut continuer la même politique économique qui a conduit la Guadeloupe à la catastrophe,

–  qu’il n’y a rien à faire contre le chômage qui touche 67 000 Guadeloupéens et 6 jeunes sur 10, de moins de 25 ans,

–  que 19% des Guadeloupéens vivent en-dessous du seuil de pauvreté,

–  que 25% de la population souffre d’illettrisme,

–  que la violence se développe, et que l’environnement se dégrade.

Pour vous, toute atteinte au statut quo est lourde de risques pour vos pouvoirs et vos intérêts. Alors, vous faites semblant de débattre sur un changement de nos institutions.

Vous reconnaissez malgré tout que la préoccupation principale des Guadeloupéens et particulièrement des jeunes est l’emploi. Comment faire reculer ce chômage, sinon par le développement des activités économiques ?

Après 66 ans de départementalisation et 40 ans d’intégration à l’Europe, les exportations n’ont pas cessé de reculer, alors que les importations augmentent chaque année. De ce point de vue, les chiffres du commerce extérieur sont éloquents, le taux de couverture des importations par les exportations qui était de 81% en 1950, encore de 13% en 1982, est actuellement inférieur à 6%. Le statut départemental, entièrement centré sur l’intégration à la France et à l’Union européenne a entrainé le quasi disparition de nos activités productives.

Alors que nos cultures d’exportation sont en déclin irrésistible et n’intéressent plus les Européens, notre marché intérieur est envahi de plus en plus par les produits européens et ceux des pays avec qui l’Union européenne a conclu des accords de libre-échange. Le statut de région européenne de la Guadeloupe, axé sur son intégration à la logique du libre-échange et de la libre confrontation des coûts comparatifs, n’ouvre à notre pays aucune perspective de développement. Bien au contraire, il conduit à la destruction de nos rares activités. Ce statut de département d’outre-mer ne permet ni de construire une économie équilibrée, ni d’imaginer un modèle de société adapté aux réalités de la Guadeloupe et aux capacités de son peuple.

Vous voulez continuer dans la même voie et appliquer de vieilles recettes qui ont échoué depuis 30 ans, comme la défiscalisation qui a conduit à une spéculation foncière et immobilière, pour le plus grand profit des plus riches.

Vous rejetez sans aucun examen les propositions alternatives, comme celles du CIPPA.

Pourtant, dans la situation dramatique où se trouve la Guadeloupe, vous devriez étudier, avec sérieux, toutes les options qui permettent un développement économique, qui garantit en même temps un haut niveau de protection sociale à la population.

Le CIPPA, après avoir fait le constat du délabrement de notre pays et examiné les obstacles au développement, a opté pour un statut de PTOM dans le cadre de l’article 74 de la Constitution.

Vous refusez d’examiner cette option, sous prétexte que ce n’est pas la préoccupation du peuple, alors qu’il appartient aux partis politiques d’éclairer le peuple et d’explorer avec lui toutes les possibilités pour faire reculer le chômage et faire émerger une Guadeloupe plus harmonieuse et plus juste.

Vous faites semblant de ne pas comprendre les propres textes que vous mettez à la disposition de la population. Ainsi dans le rapport du groupe de pilotage, la plupart des intervenants affirmaient qu’il fallait conquérir le marché intérieur par la protection des productions locales.

Comment conquérir ce marché intérieur ? Vous ne pouvez ignorer, qu’il s’agirait d’un vœu pieux, si on ne prenait pas en compte la réalité du marché et le système généralisé de libre échange qui nous sont imposés par notre appartenance à l’Union Européenne.

La Guadeloupe fait partie du grand marché intérieur européen. C’est un marché unique constitué par l’ensemble des marchés nationaux des États membres de l’Union européenne (UE). Avec près de 500 millions de consommateurs, il s’agit du plus grand marché de consommation du monde. Ce grand marché a comme principe la libre circulation des personnes des marchandises et des capitaux et le droit européen s’applique à l’ensemble du territoire communautaire, y compris à la Guadeloupe. Les profiteurs habituels ont vite compris l’intérêt de cette situation. Dans une telle économie, ils n’ont aucun intérêt d’investir dans la production, mais plutôt dans l’import distribution, où les profits sont rapides et sans risques

L’économie de plantation a été remplacée par une économie de rente. La Guadeloupe dépend de plus en plus de l’extérieur pour ses approvisionnements, ce qui permet aux gros importateurs de s’enrichir, mais qui va à l’encontre de toute économie de production et conduit à une dépendance totale pour l’alimentation.

Par exemple est-il normal que 100% du lait et 90% du poulet consommés en Guadeloupe viennent de l’extérieur? Qu’en pleine saison de pêche de la daurade, les importateurs vendent à des prix défiant toute concurrence de la daurade venant du Pérou ?

A ce rythme là, on peut se demander, s’il y aura des agriculteurs et des pêcheurs en Guadeloupe dans quelques années !

Actuellement la Guadeloupe n’a pas les moyens juridiques pour mener une autre politique économique.

Pour mettre en œuvre cette alternative économique, il faut protéger notre marché par un tarif douanier guadeloupéen et mettre en place de nouveaux mécanismes fiscaux. Cela n’est pas possible dans le cadre départemental.

Alors quel statut ? Certains nous diront que pour exporter sur le marché européen il vaut mieux être un DOM. A ce sujet il est bon de consulter l’excellent rapport du commissariat au plan présidé par Gérard Belorgey qui, en 1993 faisant la comparaison entre le statut d’un TOM et d’un DOM, affirmait : « Pour vendre, un PTOM est autant en Europe qu’un DOM ; mais, à la différence du Pays Territoire Outre-Mer (PTOM), le DOM ne peut se protéger.

Je voudrais également citer Michel Magras, sénateur de Saint-Barthélémy qui en février 2010 dans un rapport à l’Assemblée Nationale, exposant les avantages d’un tel changement de statut, estimait que « C’est essentiellement dans sa souplesse en matière de coopération juridique avec l’Union européenne que le statut de PTOM trouve sa pertinence pour la collectivité de Saint-Barthélemy. »

En effet les Pays et Territoire d’Outre-mer peuvent percevoir sur les importations de toutes provenances, y compris de l’Union européenne, des droits et taxes qui répondent aux nécessités de leur développement et aux besoins de leur industrialisation, ou qui aient pour but d’alimenter leur budget

Les PTOM disposent d’un libre accès au marché européen sans être tenus par la réciprocité (comme le sont les DOM) car ils jouissent du droit de protéger leur marché intérieur.

Les règles d’origine sont beaucoup plus souples pour les PTOM que pour les DOM, car ils peuvent exporter dans la communauté européenne des marchandises considérées comme originaires de leur territoire des produits des pays tiers partiellement transformés, ce qui n’est pas le cas des DOM qui sont soumis à des règles strictes en matière d’origine. Ainsi un produit peut être considéré comme originaire d’un PTOM lorsqu’il est obtenu à partir de produits non originaires du PTOM.

Le cumul d’origine avec des matières originaires des pays ACP est également possible. Il existe d’autre part une procédure de transbordement (article 36 de la décision d’association) permettant aux produits non originaires des PTOM qui se trouvent en libre pratique dans un PTOM d’être réexportés vers l’Union européenne en exemption de droits à l’importation .

On voit tout l’intérêt de cette procédure pour la création d’industries nouvelles dans notre pays, notamment avec l’ouverture du port en eau profonde de Jarry, où pourrait être aménagé un port franc qui serait destiné à transformer des produits tiers en vue de leur réexportation

Les PTOM ont également une souveraineté sur leur Zone Economique Exclusive, ce qui n’est pas le cas des DOM.

Au niveau de l’emploi et prenant en compte la situation du chômage en Guadeloupe et l’absence de perspectives pour les jeunes, il ne serait pas négligeable de donner une priorité (à compétence égale) à l’embauche aux Guadeloupéens. Cela n’est pas possible avec un statut de DOM, toute mesure en ce sens serait considérée comme discriminatoire. Le marché unique prévoit en effet la libre installation des ressortissants européens.

Par contre les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne ne peuvent se réclamer du droit communautaire pour exiger un droit d’entrée dans un PTOM, afin d’exercer un emploi salarié .La décision d’association autorise les PTOM à établir unilatéralement des réglementations en faveur de leurs habitants et des activités locales, dans le but de soutenir l’emploi.

N’ayant aucun argument pour contrer les avantages du nouveau statut les partisans de l’immobilisme affirment que les DOM bénéficient de nettement plus de fonds européens que les PTOM, ce qui est vrai …en apparence.

La Guadeloupe bénéficie dans le cadre de l’objectif « convergence » pour la période 2007-20013, c’est-à-dire pour 7 ans de 871 M€

Si on divise ces 871 M€ par 7, on atteint une somme de 124M€ pour un an. Quand on sait qu’au 31décembre 2012, soit après 6 ans le début du Programme Opérationnel, seuls 41% des fonds avaient réellement été dépensés, on arrive à la somme plus modeste de 50 millions par an.

En résumé, moins de 51 Millions d‘euros de fonds européens sont dépensés réellement chaque année en Guadeloupe

Pour avoir une information complète sur la question des fonds structurels européens, il faut ajouter plusieurs éléments :

  •   Les Fonds européens avec environ 50M€ annuels réellement consommés représentent moins des 2% des 4 milliards d’euros d’argent public (Etat – Région-département-communes) dépensés en Guadeloupe.
  •   Que 80% des crédits de la politique régionale sont destinés à l‘objectif convergence, c’est-à-dire aux régions dont le PIB est de 75% de la moyenne européenne. Le PIB de la Guadeloupe étant d’environ 70% de cette moyenne, il existe donc un risque sérieux d’une diminution sensible des financements européens pour la période postérieure à 2014, notamment avec l’adhésion des pays des BALKANS dont les PIB par habitant sont inférieurs à celui de la Guadeloupe
  •   Que 90% du FEAGA vont à deux cultures d’exportation, banane et canne. De plus, les exploitations les plus importantes de banane reçoivent l’essentiel des aides
  •   Les recettes perçues en Guadeloupe au profit de l’Union européenne ont augmenté de 40% en 4 ans. Savez-vous que chaque fois qu’un Guadeloupéen achète une voiture japonaise, coréenne ou américaine, il paye un droit de douane égal à 10% de sa valeur qui alimente le budget de l’Union européenne.

    En résumé la perte éventuelle des fonds structurels, ne peut constituer un obstacle à un changement de statut, d’autant plus que la Guadeloupe serait bénéficiaire du Fonds Européen de Développement (FED) destiné au PTOM et au pays ACP. Et surtout, elle pourrait récupérer l’ensemble des recettes fiscales perçues en Guadeloupe, dont la TVA et les droits de douanes, qui s’élèvent à plus de 330 millions annuels.

    Il n’y a aucune fatalité au sous développement et au chômage, l’heure n’est plus aux tactiques politiciennes, ni aux habiletés électoralistes. La gravité de la situation suppose une large mobilisation autour d’un véritable projet. Cette mobilisation n’est pas concevable sans une vigoureuse pédagogie, qui fasse disparaitre les peurs et les craintes injustifiées. La Guadeloupe dispose d’énormes atouts pour offrir au monde un modèle de développement, à partir de ses ressources naturelles qui sont la terre, la mer, le soleil et le dynamisme de son peuple.

Alain Plaisir, président du CIPPA

 

 

 

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