21/11/2024

Un des actes fondateurs du CIPPA

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MERCREDI 2 FÉVRIER 2011

LE CIPPA PART À LA CONQUÊTE DU MARCHÉ INTÉRIEUR

Samedi 29 janvier 2009, le CIPPA, Comité d’Initiative pour un Projet Politique Alternatif, a invité la presse, salle Rémy Nainsouta à Pointe-à-Pitre, pour présenter son PROJET D’EVOLUTION STATUTAIRE POUR LA GUADELOUPE. Quoiqu’ayant profité des précédentes élections régionales pour se faire connaître, on peut dire que l’événement de samedi était le véritable acte fondateur de ce nouveau parti, emmené par le LKPiste Alain Plaisir, qui a fait de l’évolution statutaire son nouveau cheval de bataille.

L’impasse

En préambule de son projet, le CIPPA donne quelques chiffres sur l’état de la production en Guadeloupe, qui montrent bien l’impasse dans laquelle nous sommes arrivés. Ainsi on apprend que la production de bananes qui en 1978, s’élevait à 145 000 tonnes, est réduite aujourd’hui à 50 000 tonnes ; de même, on ne produit plus que 50 000 tonnes de sucre, alors que la production en 1967 dépassait les 185 000 tonnes ; la production de poisson ne couvre que 50% de nos besoins, du fait « des importations encouragées par le libre-échange et le dumping ». Aucun indicateur ne donne à penser que, dans l’état actuel des choses, cette tendance pourrait s’inverser, à l’instar des 39 000 hectares de terres agricoles qui disparaissent au rythme effréné de 1000 hectares par an. Autre secteur phare de Guadeloupe, le tourisme a vu le nombre de ses hôtels diminuer de 20% en cinq ans. Le résultat de ce naufrage économique : un taux de chômage proprement vertigineux touchant en particulier 40% des moins de 30 ans !

Dans le même temps, le CIPPA dénonce l’augmentation considérable des impôts indirects « invisibles mais pas indolores », qui concernent sans distinction toutes les couches de la société, tels que l’octroi de mer ou l’octroi de mer régional, la taxe sur les carburants (TSC) ou encore la TVA.

Le libre-échange, c’est la loi de la jungle

Beaucoup de gens considèrent la situation actuelle intolérable et partagent les critiques développées par les partis de gauche mais ne voient pas d’alternative sérieuse au système actuel. Tout le mérite du CIPPA est d’avoir élaboré un véritable programme politique et économique basé sur une solide connaissance à la fois de la réalité locale de la Guadeloupe et des textes juridiques français et européens.

Ainsi donc, le Cippa part à « la conquête du marché intérieur », pour reprendre le titre du livre d’Alain Plaisir, paru en 2008 aux éditions Nestor. Pour le CIPPA, la Guadeloupe qui, pour sa consommation, est aujourd’hui dépendante à plus de 80% des importations, n’a plus le choix, elle doit sortir du cadre européen. C’est vrai tout particulièrement si elle veut accéder à la souveraineté alimentaire. Il ne faut pas voir là le signe d’un repli guadeloupéen mais la quête de ce qui devrait être une priorité pour tout peuple, quel qu’il soit. Sur le plan alimentaire, le CIPPA envisage donc, en sortant du cadre européen qui asphyxie la Guadeloupe, de relancer l’activité économique dans l’agriculture, d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs, des salaires dignes aux agriculteurs, de préserver les terres agricoles, de créer une industrie agro-alimentaire visant à la transformation de certains de nos produits et de préserver l’environnement. Chacun comprend que cela n’est effectivement pas possible dans un système de libre-échange où la petite Guadeloupe dispose pour toute protection du même statut douanier que 27 pays européens dont certains fortement industrialisés, d’autres au coût de la main d’œuvre très bas. Le CIPPA propose donc de créer un marché commun avec la Martinique et la Guyane et d’adopter un « tarif douanier guadeloupéen » qui au cas par cas, surtaxerait ou non les produits importés, afin de protéger la production locale[1].

Ciel, des protectionnistes !

Il s’agit donc bel et bien de protectionnisme, un terme qui était presque devenu un gros mot mais qui apparaît pour des pays comme la Guadeloupe une nécessité incontournable. C’est un peu, si on prend l’exemple de la boxe, comme si on laissait combattre sur un même ring, un poids plume avec un poids lourd, un adulte contre un enfant, sous prétexte que le fait d’établir des catégories fausserait le jeu… On comprend immédiatement l’absurdité d’un tel raisonnement. Dans le texte présenté samedi matin, le CIPPA explore aussi d’autres pistes de développement, comme celle de la conquête de l’autonomie énergétique avec le développement des énergies renouvelables, l’exploitation des ressources biologiques et minérales de la mer, la véritable richesse de demain dont la Guadeloupe ne manque pas, le lancement d’un programme de grands travaux, l’impulsion d’un tourisme intérieur dont bénéficieraient les Guadeloupéens par le biais de chèques-vacances valables dans les restaurants et hôtels de Guadeloupe, etc.

Maître chez soi

Pour parvenir à ces objectifs ambitieux, le CIPPA opte pour un statut d’autonomie reposant sur un partage de compétence avec l’état français, sur le modèle de ce que vient d’obtenir St Barthélémy. Ainsi le CIPPA entend que la nouvelle collectivité qu’il appelle de ses vœux, gère quinze nouvelles compétences, telle que la fiscalité, le régime douanier, l’énergie, l’éducation, etc., tandis que l’état conserverait sept grandes compétences telles que la défense nationale, pour ne citer que ce seul exemple.

Le statut auquel le CIPPA pense pour la Guadeloupe est celui de Pays et Territoire d’Outre-mer (PTOM)[2] « exemptant la Guadeloupe des contraintes du marché intérieur européen ». « Le traité de Lisbonne (traité constitutionnel européen) prévoit une clause-passerelle permettant de faire passer une région ultrapériphérique à un statut de territoire d’Outre-mer. » Ainsi donc il s’agirait d’évoluer de façon très nette mais tout en demeurant dans le giron de la république française, tenant compte du fait que les textes constitutionnels et communautaires prévoient ce cas de figure.

Pour financer le fonctionnement de ces nouvelles compétences, le CIPPA entend s’appuyer sur le principe de la compensation des charges. En effet, la brochure vendue par le CIPPA spécifie que « tout accroissement net de charges résultant pour la nouvelle collectivité des compétences transférées est accompagné du versement concomitant par l’Etat, d’une compensation financière permettant l’exercice normal de ces compétences. »


Bernard Bany, au micro, à côté d’Alain Plaisir et des membres éminents du CIPPA (photo FG)

Un message audible ?

Dans mon précédent article, en réponse à un papier du Mika Déchaîné, j’expliquais que l’indépendantisme n’était pas la seule voie de la lutte anticolonialiste. Peut-être certains ont-ils cru que je cherchais à jouer sur les mots. Il n’en est rien et le projet proposé aujourd’hui par le CIPPA en est la démonstration si besoin était. Il s’agit de Guadeloupéens et de Guadeloupéennes, qui ont compris que le statut actuel, loin d’accorder une protection à leurs concitoyens, rendait impossible tout sursaut pour sortir du marasme économique dans lequel la Guadeloupe s’enfonce inexorablement. Leur proposition a au moins le mérite de relancer le débat sur l’avenir de la Guadeloupe. Dans la continuité du LKP, ils proposent une grille de lecture pour analyser la situation actuelle et des outils pour tenter d’en sortir. On peut débattre de beaucoup de points, comme la nécessité d’un ancrage dans la région caraïbe qui dépasserait les seules Guyane et Martinique, du silence sur la concentration des richesses dans les mains d’une poignée de profitants, etc. ; il n’en reste pas moins que le potentiel de ce projet, de par sa viabilité, son réalisme et la compétence de ceux qui l’ont élaboré, mérite considération.

Néanmoins, lorsque j’ai demandé pour Chien Créole comment le CIPPA comptait éviter un échec aussi cuisant que celui connu par les Martiniquais avec le rejet massif du passage à l’article 74, la seule réponse qui m’a été faite fut « on va travailler beaucoup pour ça », un peu comme Nicolas Sarkozy m’aurait répondu : « les Français ne veulent pas de ma réforme ? On va leur réexpliquer ». Ce qu’on peut reprocher principalement au CIPPA, c’est de ne pas avoir réfléchi à une alternative dans sa façon de faire de la politique. La conférence de presse de samedi était éloquente sur les carences du CIPPA en la matière : sur la méthode déjà : une proposition élaborée par des experts sous forme de belle brochure en papier glacé, lue à la presse et vendue sur place 2 euros. Certes, dans un deuxième temps, le CIPPA envisage de se rendre dans quasiment toutes les communes de Guadeloupe, à commencer nous dit-on par Trois Rivières, mais n’aurait-il pas fallu associer la population à l’élaboration même du projet de société et la laisser d’elle-même comprendre l’impérieuse nécessité d’une évolution de statut afin d’y parvenir ? Le CIPPA aurait pu alors proposer ses compétences en la matière. On peut se demander si la présentation de l’évolution statutaire comme un objectif en soi, est en mesure de vraiment séduire les Guadeloupéens. D’autant que le sérieux des membres du CIPPA, s’il est un indéniable atout renforçant sa crédibilité devient un défaut lorsqu’il s’agit de communiquer. Une présentation trop formelle, le manque de charisme de ses porte-paroles, n’aident pas à faire passer le message.

Naissance d’un nouveau front anticapitaliste ?

Cela dit, il est probable que le CIPPA ne reste pas seul dans cette démarche et soit rejoint notamment par le PCG, dont le secrétaire général Félix Flémin, avait fait le déplacement à la salle Nainsouta ; Flémin qui au nom du PCG a appelé récemment à un vaste front anticolonialiste précisément pour aboutir à une évolution statutaire que le parti communiste guadeloupéen souhaite depuis 1956, comme le rappelait Bernard Bany, le vice-président du CIPPA, dans sa présentation. Interrogé sur ce point par Chien Créole, Alain Plaisir a répondu que le CIPPA travaillait à un rapprochement avec d’autres organisations, dont le PCG.

Sans être exclusive, la proposition du CIPPA est appelée à nourrir le débat dans une Guadeloupe qui se cherche. Souhaitons-lui d’être au moins entendue.

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

[1] En raison des normes européennes qui visent à préserver la libre-concurrence, les entreprises guadeloupéennes qui réalisent plus de cinq millions d’euros de chiffre d’affaire sont assujetties depuis une réforme de 2004, à l’octroi de mer. Ça a un impact par exemple chaque fois qu’on veut acheter une bouteille d’eau Capès ou Matouba… En 2014, l’octroi de mer, dans le collimateur de Bruxelles pourrait bien purement et simplement disparaître. Dans le même ordre d’idée, le BTP guadeloupéen, déjà en crise, s’alarme du fait que désormais les marchés publics peuvent être emportés par des entreprises européennes. On pense à la Roumanie ou au Portugal.

[2] C’est le statut qu’a choisi St Barthélémy et qui sera appliqué, dans cette île, dès le 1er janvier 2012.

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