Lettre de l’association Vivre au président de la République
Monsieur le Président de la République,
Palais de l‘Élysée 55 Rue du Faubourg Saint–Honoré, 75008 Paris France
Lamentin, le 14 mai 2019
Objet : Votre courrier en date du 9 mai 2019 à la Coordination des Associations d‘Outre-mer
Monsieur le Président de la République,
Nous avons été informés de l‘existence d‘un courrier destiné aux associations d‘outre–mer, mais n‘en avons pas été destinataires directement.
Notre association, dénommée VIVRE, a pour objet de fédérer ses membres sur la problématique des conséquences du CHLORDECONE (et des autres polluants) et des solutions à mettre en oeuvre.
Afin que vous puissiez connaitre le ressenti de nos adhérents, nous avons pris l‘initiative de vous alerter sur les points suivants qui nous semblent importants et pour lesquels votre véritable implication peut être décisive.
I – SUR LE PRINCIPE CONSTITUTIONNEL DE L‘ÉGALITÉ ENTRE TERRITOIRES FRANCAIS PREVU NOTAMMENT PAR LES ARTICLES 1ER ET 73 DE LA CONSTITUTION
Les Guadeloupéens et les Martiniquais sont victimes d‘un empoisonnement latent par le chloredecone depuis plus d‘une trentaine d‘années et tous les gouvernements successifs n‘ont jusqu‘alors pas instauré un véritable PLAN CHLORDÉCONE – SOINS – DÉCONTAMINATIONS – RÉPARATIONS – INDEMNISATIONS visant prioritairement à protéger leur santé et à leur garantir la qualité de vie à laquelle ils pourraient prétendre sans cette inacceptable contamination qui les frappe.
En aurait–il été ainsi si une contamination de la sorte avait eu lieu sur un territoire de la France hexagonale ? La lenteur des processus de décisions pourtant attendues dans le cadre des politiques de Santé Publique, alors qu‘il y a urgence, peut laisser penser à une indifférence à l‘égard des territoires d‘outre–mer.1
Force est de constater qu‘en 2019, il ne s‘agit plus de lenteur caractérisée mais presque d‘une situation singulière de non assistance à personne en danger en Guadeloupe et en Martinique. En effet, certaines associations (locales, concernant le chlordécone, ou de la France hexagonale à propos d‘autres biocides), rappellent que la qualification d‘empoisonnement peut être retenue lorsque des autorisations puis des dérogations ont été délivrées, en dépit de tout bon sens, pour ces produits qui ont eu les effets que l‘on déplore aujourd‘hui et depuis de nombreuses années. La question de la responsabilité de l‘État est donc au centre du débat.
1 NICOLINO, F. et VEILLERETTE F., Pesticides Révélations sur un scandale français, Fayard, 2007, ISBN 978–2–213–62934–6, 384 pp.
II – SUR LA RESPONSABILITE RECONNUE DE L‘ÉTAT DANS CETTE CONTAMINATION GÉNÉRALISÉE DES PERSONNES, DES BIENS ENVIRONNEMENTAUX COMMUNS ET DES RÉPARATIONS AFFÉRENTES
La situation que nous connaissons aux Antilles en matière de contamination généralisée par les biocides est une violation patente des textes juridiques et réglementaires les plus importants pour organiser notre vivre ensemble. Il s‘agit en effet, et la liste est non limitative, du préambule, des articles 3 et 4 du Traité de Fonctionnement de l‘Union Européenne, des articles 1 et 34 de la Constitution française, des articles 2 à 5 de la Charte de l‘Environnement adossée à celle–ci, ainsi que des lois Santé et Biodiversité de janvier et août 2016.
Monsieur le Président de la République, vous reconnaissez la responsabilité de l‘État dans cet inacceptable scandale environnemental, il reste maintenant à aller au bout de cette démarche. Il ne pourrait être envisagé que la reconnaissance d‘une responsabilité éludée par l‘État depuis des années, soit neutralisée par le fait de ne pas en tirer les conséquences. Il est question, ici, des préjudices liés à la contamination par des biocides dont le chlordécone, et que la loi dite « biodiversité >> précédemment mentionnée, longuement attendue et saluée par la doctrines et le grand public, quoique perfectible“, a enfin reconnus.
Bien que vous affirmez dans votre lettre qu‘il « ne [vous) appartient pas de prendre part au débat scientifique sur les effets de ce pesticide sur la santé », il est de notre devoir de rappeler que de nombreux travaux de recherches établissent le lien de causalité entre les contaminations en cause et les effets sur la santé du vivant” (animal – y compris – humain, végétal) et sur l’environnement plus large.
En effet, si la reconnaissance de la contamination au chlordécone au titre de maladie professionnelle est une avancée, le corpus des réparations à venir ne saurait se limiter à cette reconnaissance pour les victimes que sont nos concitoyens ouvriers agricoles. Elle doit être étendue à l‘ensemble des victimes que sont les Guadeloupéens, les Martiniquais, et plus généralement l‘ensemble des personnes présentes sur ces territoires et qui ont été aussi contaminées.
2 Reconnaissance qui est cohérente à la fois avec le principe de la réparation de l‘entier dommage par celui ou ceux qui l‘ont causé (articles 1240 et suivants du code civil remplaçant désormais les articles 1382 et suivants du même code, et avec le principe pollueur–payeur (ou de réparation). Ledit principe qui a été repris par exemple dans la loi par la loi n° 2016–1087, du 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite loi « biodiversité », en particulier en son art. 4 Ter. Ce texte prévoit l‘insertion « du préjudice écologique » (sic) aux articles 1386–19 anc. et s. du code civil (art. 1246 et s. nouv.). 3 Cette consécration a été impulsée dès la jurisprudence dite « Érika » (Cass. crim. 25 sept. 2012), a été saluée lors de ses différentes étapes par la doctrine par la doctrine (M. BOUTONNET, « Une reconnaissance du préjudice environnemental pour une réparation symbolique... », Environnement et Développement Durable, LexisNexis, J.–C., no 7, juill. 2009, comm. 90, 10 pp., spec. pp. 9–10. 4 Ainsi que démontré dans des récents travaux de thèse, F. JEAN–FRANÇOIS, « Responsabilité civile et dommage à l‘environnement », Université des Antilles, 2018,592 pp. 5 L. Brureau, C. Helissey, J–P. Thome, L. Multigner, P. Blanchet, “Endocrine disrupting–chemicals and biochemical recurrence of prostate cancer after prostatectomy: A cohort study in Guadeloupe (French West Indies“), 20 March 2019, https://doi.org/10.1002/ijc.32287 6 V.notamm. D. LEVESQUE, « Effectiveness of Pesticide Safety Training and knowledge About Pesticide ExposureAmongHispanicFarmworkers >>, Journal of Occupational and Environmental Medicine: Dec. 2012–Vol. 54 – Issue 12 – p 1550–1556, DOI: 10.1097/JOM.Ob013e3182677d96; L. MULTIGNER, J. R. NDONG, A. GIUSTI, M. ROMANA, H. DELACROIX–MAILLARD, S. CORDIER, B. JEQOU, J.–P. THOME J.–P., and P. BLANCHET, « ChlordeconeExposure and Risk of Prostate Cancer >>, Journal of ClinicalOncology, 2010 n° 21, pp. 3457–3462; L. MULTIGNER, « Chlordécone et cancers aux Antilles », RESP 56, 2008, pp. 233 234 ; SB CANNON, J. M. VEAZEY Jr, R. S. JACKSON, V. W. BURSE, C. HAYES, W. E. STRAUB et al., « Epidemickeponepoisoning in chemicalworkers », Am J Epidemiol, 1978, n° 107,529–537, in L. MULTIGNERPréc.; W. J. COHN, J. J. BOYLAN, R.V BLANKE, M. W. FARISS, J. R. HOWELL, P.S. GUZELIAN, « Treatment of chlordecone (kepone) toxicitywithcholestyramine : results of a controlled trial», N. Engl.J. Med., 1978, n° 298, pp. 243–248, in L. MULTIGNERPréc.; M. FINTZ, « L‘autorisation du chlordécone en France 1968–1981. Contribution à l‘action 39 du Plan Chlordécone, Maisons–Alfort »: Afsset, 2009,
De même, la réparation dans son expression juridique doit s‘entendre de l‘ensemble des préjudices subis, qu‘ils touchent les personnes physiques ou morales, les biens environnementaux communs (sol, eau, air, atmosphère, océans, biodiversité, le vivant...). En somme, nous parlons de la réparation de tous les dommages réparables et autres préjudices corporels, moraux, matériels, voire de ceux liés à l‘anxiété due à cette incessante situation de pollutions plurielles qui affectent la qualité de vie quotidienne aux Antilles?.
Ainsi, vous comprenez que nous restons particulièrement sceptiques quand vous énoncez que « les victimes de la chlordécone soient intégrées dans toutes les démarches ouvertes au bénéfice des victimes des produits phytopharmaceutiques », alors que si l‘on part du postulat qu‘en moyenne 95 % des Guadeloupéens et des Martiniquais seraient contaminées (soit environ 770 000 personnes), c‘est un véritable plan d‘indemnisation dédié spécifiquement aux victimes du chlordécone et autres molécules biocides (tels que le Glyphosate, le DDT pour ne citer que ceux–ci), qu‘il conviendrait précisément de mettre en oeuvre.
III – SUR LE DÉNI DE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE ET LES DÉCISIONS DISCRIMINATOIRES À L‘ENCONTRE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE GUADELOUPÉENNE ET DE SES REPRÉSENTANTS ASSOCIATIFS (principe de démocratie participative“, consécutif à la révision constitutionnelle de 2003, et aux lois de 2003 et 2004)
Monsieur le Président, vous avez, sur ce point, envoyé un message fort en indiquant que « les associations seront associées aux réflexions sur l‘intérêt des dépistages individuels, ponctuels ou systématiques dont les résultats seront pris en compte dans le Plan Chlordécone IV».
Localement, l‘ARS GUADELOUPE a décidé de ne pas convier les associations militantes comme la nôtre, ce qui semble en totale contradiction avec votre souhait. Il est particulièrement curieux qu‘elles aient d‘abord été invitées avec transmission des documents de synthèse pour singulièrement s‘entendre ensuite dire trois heures plus tard quelles ne le seraient plus sous des motifs incompréhensibles.
D‘autre part, les travaux de groupe en cours sont annoncés comme exclusivement réservés à des scientifiques experts/chercheurs alors même que certains de ceux/celles qui y participent ne répondent pas à l‘exigence de ladite compétence. Ces pratiques discriminatoires ont pour conséquence d‘amplifier la méfiance, la suspicion, voire la colère des associations dont les adhérents cumulent les qualités de patients, usagers, administrés, contribuables et malheureusement de victimes contaminées...
Enfin, nous souhaitons vous alerter quant à la multiplication de témoignages provenant de divers professionnels de santé et de secteurs connexes du secteur public ou privé (médecins, doctorants, docteurs, biologistes, techniciens de laboratoires, chargés de mission, agents de prélèvement, administratifs, etc.) qui préfèrent renoncer à participer à des réunions publiques d‘information sur les pollutions et contaminations plurielles, ou encore sur le scandale de l‘insalubrité de l‘eau, pour éviter des représailles de leurs hiérarchies.
7 Juridiquement cette énumération – large mais néanmoins pertinente et justifiée – correspond bien à la réparation de l‘entier dommage comme prévu aux articles 1240 et suivants du code civil, qui remplacent désormais les articles 1382 et suivants du même code. 8 Qui a acquis sa pleine valeur constitutionnelle grâce notamment à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel, v. notamm. Cons. const., déc. no 2008–564 DC du 19 juin 2008, Loi sur les OGM, Rec. p. 313 ; CE, A. 3 oct. 2008, Cne d‘Annecy, Rec. p. 322, GAJA.
Quelles sont les véritables raisons d‘un climat aussi anxiogène ?
Espérant pouvoir compter sur votre implication, nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l‘expression de nos salutations distinguées.
Le Conseil d‘Administration de l‘Association VIVRE, ses Adhérents et ses Partenaires
Schadensers
Patricia CHATENAY–RIVAUDAY, Présidente
Jean–Marie FLOWER, Vice–Président
Jean–Jacob BICEP, Trésorier
Laure TARER, Secrétaire
Liste non exhaustive des destinataires
PEUPLES de GUADELOUPE et de MARTINIQUE,
Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé,
Monsieur le Ministre de l‘Agriculture,
Monsieur le Ministre de la Transition écologique et Solidaire
Madame la Ministre des Outre–mer,
Madame la Secrétaire d‘Etat des Affaires Européennes
Monsieur le Défenseur des Droits
Monsieur le Préfet de la Guadeloupe
Mesdames et Messieurs les Députés de la Guadeloupe
Madame et Messieurs les Sénateurs de la Guadeloupe
Monsieur le Président du Conseil Régional, Madame la Présidente du Conseil Départemental,
Madame et Messieurs les Présidents des EPCI,
Monsieur le Président de l‘Association des Maires,
Madame la Directrice Générale de l‘ARS,
Monsieur le Directeur de la DÉAL,
Monsieur le Directeur de la DAAF,
Messieurs les Présidents des Chambres Consulaires,
Madame la Présidente de l‘Office de l‘Eau,
Madame la Présidente du Comité de l‘Eau et de la Biodiversité,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Ordres et/ou Organisations des Professionnels de Santé,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Organisations Syndicales de Salariés,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Organisations Patronales,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations de Défense des Usagers de l‘Eau,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations de Défense des Droits des Personnes en
situation de Handicap,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations Écologistes et de Protection de
l‘Environnement,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Associations Culturelles, Sportives, de Protection et d‘Insertion Sociales, Mesdames et Messieurs les Représentants de la Coordination des Associations d‘Outre–mer,
Toute autre personne physique et/ou morale se sentant concernée, en Guadeloupe, en Martinique,
en Europe et ailleurs