
Défendons notre patrimoine géothermique de Bouillante.
Le Collectif pour la défense de la géothermie de Bouillante en Guadeloupe déclenche une campagne de mobilisation pour que l’exploitation de cette source de production d’électricité demeure essentiellement un bien commun gérée par une entreprise de type société d’économie mixte. En ce sens, l’abandon par l’Etat de cette entreprise confiée désormais à une société privée américaine Ormat Technologies est proprement scandaleuse. Pourquoi ?
Rappelons en un premier temps l’extrême importance de ce mode de production pour notre pays. En effet, l’électricité consommée en Guadeloupe est essentiellement produite à partir du pétrole et du charbon. Or, ces énergies fossiles sont condamnées à court ou moyen terme d’une part en raison de leur épuisement d’autre part par les dégâts écologiques qu’ils entraînent. Nous avons la chance de disposer de conditions nécessaires pour réaliser une transition énergétique avec une électricité utilisant surtout les énergies renouvelables (le soleil pour le photovoltaïque, les alizés pour les éoliennes, l’eau, la mer, la biomasse, la géothermie). La COP21 d’ailleurs a souligné toute l’importance qu’il y a de développer ces énergies renouvelables.
En ce sens, l’usine géothermique de Bouillante, cas unique sur le territoire français de production d’électricité à partir de la géothermie , était une réussite à tous points de vue : de 1996 à 2002, elle a su résoudre ses problèmes technologiques, se moderniser et fonctionner à plus de 92% de ses capacités en générant des excédents financiers et se proposait d’ici 2020 de produire 20% de l’électricité consommée en Guadeloupe. En outre, la découverte d’autres sources géothermiques étaient prometteurs pour l’avenir.
Pourquoi donc la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a-t-elle décidé de vendre l’usine géothermique de Bouillante à la société américaine Ormatt ? L’EDF qui qui était en charge avec le BRGM de la direction de l’usine et détenait 40% des parts s’est brusquement décidée de réduire sa participation à 2%. La mauvaise entente BRGM/EDF est à la source de la détérioration de l’administration de l’usine géothermique dénoncée par la Cour des comptes. De surcroit, qui va payer les 24 millions d’euros d’endettement cumulé par le BRGM qui a bénéficié tout au long de sa gestion d’exonération de droit d’octroi de mer, aide indirecte de la Région Guadeloupe ?
Le problème est que le BRGM est un organisme public et l’EDF un organisme semi-public. La responsabilité de l’Etat est donc engagée dans cette détérioration de l’exploitation de la géothermie de Bouillante. Tout se passe comme si on dégrade volontairement le fonctionnement d’organismes publics chargés d’exploiter des biens communs afin de transférer ces derniers à des entreprises privées. Rappelons que les avis de la Cour des comptes ne sont que facultatifs et que la neutralité de ses experts n’est pas toujours assurée car ils sont souvent liés d’une manière ou d’une autre à la classe oligarchique française avec ses relais internationaux. Plus généralement, au sommet de l’élite oligarchique au pouvoir, les liens entre intérêt public et intérêts privés tendent à se confondre. En témoigne le cas de Bruno Brézard, ce patron du Trésor, signalé par le journal Libération. Cet homme, l’un des plus importants de la haute fonction publique, quitte Bercy pour prendre la direction d’un fonds d’investissement franco-chinois, pouvant mettre ainsi au service du privé des secrets d’Etat ou sa connaissance des forces et des faiblesses de l’économie. L’ouverture possible de la SNCF à la concurrence est ce qui explique aussi les conflits sociaux dans cette entreprise publique.
L’évolution d’EDF est significative à cet égard. Alors que l’organisme avait été créée après la guerre sous l’instigation des communistes, la loi du 9 août 2004 transforme EDF d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), en société anonyme (SA). L’entreprise a introduit une partie de son capital en Bourse le 21 novembre 2005. Sous l’impulsion de la Commission européenne, la déréglementation du secteur électrique est encouragée dans l’Union européenne. Concernant la géothermie de Bouillante, le plus surprenant est que EDF, aux dires même de la Cour des comptes, a pu acheter avec Bouillante une électricité au- dessous de son coût de production. EDF s’est donc retirée de l’affaire alors que la géothermie se développe rapidement dans le monde, que la France dispose de capacités reconnues dans ce domaine et que l’Etat français en fait sa priorité. En réalité, EDF est davantage intéressée à investir à l’étranger, dans les pays où la déréglementation est plus avancée.
En conséquence, le désinvestissement de l’Etat d’une entreprise publique d’une importance telle que la géothermie de Bouillante est inacceptable. La chose est d’autant plus grave de la part d’un gouvernement qui se réclame du socialisme que l’entreprise est vendue à une société américaine. Or, on sait que la stratégie américaine en Amérique Latine et dans la Caraïbe est de s’approprier de l’exploitation de biens communs comme l’eau et l’électricité. Grave aussi est l’attitude des élus locaux qui se rangent prudemment sur les positions des partis de gouvernement dont la différence entre gauche et droite est en ce moment tout à fait estompée. Une entreprise dirigée par un Guadeloupéen et l’ancien directeur de la géothermie de Bouillante se proposent de reprendre l’exploitation de ce mode de production d’électricité. Ne pourrait-on pas prévoir la constitution d’une sorte de société d’économie mixte afin que cette richesse de notre sous-sol demeure sous contrôle public ?
Dans tous les cas, notre Collectif pour la défense de la géothermie de Bouillante est très mobilisé pour interdire la vente de cette production à une entreprise privée américaine. Nous ne laisserons pas faire. Plus globalement, le désinvestissement de l’Etat dans des organismes et institutions publiques dans un Outre-mer connaissant un affaiblissement croissant du système productif est lourd de grands conflits sociaux à venir.
Alain Plaisir
Jacky Dahomay
(Membres du Collectif pour la défense de la géothermie de Bouillante).